Jean-Denis Delétraz : « L’endurance vit une époque incroyable »

Jean-Denis Delétraz, ancien pilote de Formule 1 et double vainqueur de catégorie aux 24 Heures du Mans, porte un regard passionné sur l’évolution de l’endurance et sur la carrière de son fils Louis, aujourd’hui pilote Hypercar. Rencontre avec un passionné qui a traversé plusieurs époques du sport automobile.

Quel est votre regard sur l’endurance actuelle, notamment avec l’arrivée des Hypercars ?

« En dehors de la catégorie Hypercar, ce qui est fantastique aujourd’hui, c’est qu’on a réussi à mettre en place un règlement qui a réconcilié les États-Unis, l’Europe et Le Mans. Résultat : il y a un attrait énorme pour les constructeurs et on n’a jamais vu un plateau pareil. C’est incroyable d’avoir Ferrari, Porsche, Toyota, Peugeot, BMW, Cadillac et tous ceux qui arrivent. C’est une époque fantastique. » 

Votre fils Louis connaît une très belle carrière en endurance. Quel regard portez-vous sur son parcours ?

« En tant que père, je suis très fier. Nous avons décidé de passer de la F2 à l’endurance au bon moment, alors que la discipline redevenait très attractive. Nous avons pris un risque en partant en IMSA LMP2 au début, mais cela a été une excellente décision. Cela a ouvert à Louis les portes de l’Hypercar, d’abord avec Acura, puis avec Cadillac. Aujourd’hui, il est épanoui, et moi aussi. »

Vous lui apportez encore des conseils lors des week-ends de course ?

« C’est de plus en plus rare. Louis est désormais un pilote professionnel entouré par des équipes de haut niveau, parfois plus de cent personnes. Je vais sur les courses par passion, pas pour intervenir. Mais il arrive que l’on discute, surtout lors de week-ends difficiles. Mon rôle est alors plus celui d’un confident, pour relativiser, tempérer, et apporter un regard extérieur. C’est important pour un pilote. »

©️Gulf historic

Vous avez roulé en endurance dans les années 1990-2000 et remporté deux fois la catégorie LMP675 au Mans (en 2001 avec ROC Auto avec Jordi Gené et Pascal Fabre puis en 2002 avec Noël Del Bello Racing avec Christophe Pillon et Walter Lechner Jr, à chaque fois sur une REYNARD 2KQ-LM). Quels souvenirs en gardez-vous ?

« À l’époque, certaines voitures avaient des performances extrêmes, au point qu’il a fallu changer la réglementation. Les dernières années des prototypes Porsche ou Toyota étaient incroyables technologiquement. Aujourd’hui, ce qui me marque, c’est l’homogénéité du plateau grâce à la BoP, qui permet à des voitures très différentes de se battre à armes égales. Il faut dire qu’à notre époque, les budgets étaient énormes : Audi ou Porsche dépensaient parfois 200 millions d’euros par saison. L’Hypercar de l’époque était presque de la Formule 1, et c’est ce qui a fini par tuer la discipline. »

Parmi vos neuf participations au Mans, quelle victoire vous a le plus marqué ?

« Sans hésiter, 2001. C’était ma première victoire en LMP675, dans une course marquée par 21 heures de pluie. Nous avons terminé cinquièmes au général, mais la nuit a été terrible. Je me souviens avoir demandé à mon équipe de me sortir de la voiture tellement j’étais épuisé. C’était dangereux, froid, trempé car la LMP675 était un prototype ouvert. Mais le résultat final en a fait un souvenir merveilleux, même si la nuit reste gravée comme un moment très difficile. »

©️DPPI

Vous avez couru en F1, en endurance, en prototypes et en GT. Quelle catégorie vous a procuré le plus de plaisir ?

« On pense souvent que la F1 est le Graal, mais j’ai connu la discipline dans des conditions compliquées, avec une équipe en difficulté financière (il a roulé en 1994 chez Tourtel-Larrousse F1, 2 GP, et Pacific Team Lotus, 1 GP, en 1995, ndlr). Mes plus beaux souvenirs sont en GT, avec ma victoire aux 24 Heures de Spa (2007 sur la Corvette C6.R de Carsport Holland / Phoenix Racing avec Mike Hezemans, Fabrizio Gollin et Marcel Fässler, ndlr), et mes courses notamment au volant de Ferrari, Aston Martin ou Corvette. En GT, j’étais dans les meilleures voitures et je me battais pour la victoire. »

Si vous deviez choisir un line-up idéal de trois pilotes pour Le Mans en tant que team manager ?

« Je mettrais évidemment Louis, vu ses résultats. Ensuite, j’aime beaucoup Julien Andlauer dans la jeune génération. J’ajouterais Robert Kubica pour son expertise technique et sa vitesse, ainsi que Mathieu Jaminet (voir photo un peu plus haut). Il y a beaucoup de jeunes que j’apprécie, donc le choix est difficile. »

Quelle voiture vous a le plus marqué dans votre carrière ?

« La première fois que je suis sorti des stands avec la F1 Larrousse. Le rapport poids/puissance était incroyable, ça m’a littéralement arraché la tête. Mais la voiture avec laquelle j’ai pris le plus de plaisir reste l’Aston Martin Prodrive. »

©️DPPI

Vous roulez encore en compétition ?

« Oui, je participe chaque année au Grand Prix de Monaco Historique en Formule 1. J’ai aussi couru à l’époque au Gulf Historic de Dubaï, même si l’épreuve est annulée cette année. De temps en temps, je dispute deux ou trois courses historiques pour des collectionneurs. « 

Y a-t-il une voiture que vous aimeriez essayer aujourd’hui ?

« Oui, une LMP2 actuelle non bridée. Ce sont des prototypes très légers et performants, parfois plus rapides que les Hypercars dans certaines conditions. J’essaie de convaincre mon ami Vincent Vosse de me prêter celle avec laquelle Louis a roulé, juste pour une journée d’essai sur circuit. »

Que faites-vous aujourd’hui de votre temps libre ?

« Je travaille toujours dans l’immobilier, comme je l’ai toujours fait. Je profite aussi de mon temps pour suivre Louis, aux États-Unis comme en Europe. Je ne vais plus à toutes les courses, mais encore à un bon nombre. »

©️DPPI / FIAWEC

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